FAMILLES CONNOLLY PRATTE CLOUTIER


Le journal personnel d'Edward Connolly
Au delà de l'histoire.

Tout le monde sait très bien que notre ancêtre Edward ne savait ni lire ni écrire. Mais imaginons un instant... Vous savez, faire l'histoire comporte certaines frustrations, en particulier celle d'avoir à s'en tenir rigoureusement aux faits qui sont corroborés et certains, sans jamais pouvoir se payer le plaisir de "remplir les trous"...

J'ai décidé de me laisser aller, et d'imaginer les bouts qui manquent dans nos connaissances historiques. Ce que vous allez lire ici est en parfaite harmonie avec les connaissances historiques que j'ai à date, mais ce récit va "au delà" de l'histoire, je vous préviens.

Important:

Les habitués du site savent que nous avons dernièrement fait des progrès considérables dans nos connaissances concernant la carrière militaire d'Edward. Nous avons ainsi appris qu'il est arrivé au Canada en 1807, plutôt qu'en 1814 comme nous avions bien des raisons de soupçonner auparavant. Et ainsi, bien d'autres détails, dont plusieurs sont assez significatifs (vous pouvez en prendre connaissance en consultant la rubrique Chronique), vont m'obliger à réviser sérieusement la présente rubrique, surtout pour le tout début, jusqu'au mariage à William Henry. Ce travail n'est pas encore fait, mais je vous informerai dès que la mise à jour sera faite.
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Pour accéder directement au dernier épisode qui a été ajouté sur le site, cliquez simplement sur le lien suivant: 11 mars 1999

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Irlande, 1812. Je me présente : je suis Edward Connolly, dont vous avez déjà entendu parler. Vous savez que la vie n’est pas facile ces années-ci en Irlande. Si ça continue, nous nous en allons tout droit vers une terrible famine qui ne manquera pas d’affecter notre patrie. Même si mes parents Felix et Margaret sont des protestants, la vie de paysans n’est guerre plus rose qu’elle ne l’est pour les catholiques. Et ce paisible Comté Tyrone où nous habitons, dans le nord de l’Irlande, souffre comme les autres des problèmes de cultures qui accablent les paysans du pays. Mes parents ne sont plus très jeunes : mon père Felix dépasse les 60 ans, et ma mère Margaret O’Connor fêtera prochainement ses 58 ans. Moi, je suis le cadet, et j’ai déjà 34 ans ; je suis toujours célibataire, puisque je m’occupe de garder mes parents sur la terre ancestrale. On a entendu dire que l’Angleterre, la mère patrie (que, soit dit en passant et à demi mots, nous ne chérissons pas tellement), s’est compromise dans une nouvelle guerre en terre d’Amérique, comme si elle n’en avait pas assez de celle qui l’occupe déjà en Europe ! On a donc bien compris que ce n’est pas de la mère patrie qu’il faut attendre le soulagement des maux qui nous affligent. Mais voici qu’au début de l’été, j’ai rencontré au village un officier recruteur de l’armée anglaise. J’ai gardé l’image qu’ils nous ont donnée ce jour-là, et je l’ai collée ici, à côté ; l’officier de recrutement qui est venu chez nous était habillé exactement comme sur cette image : est-ce qu’il n’est pas beau, non ? Et l’officier nous a expliqué tous les avantages qu’il y avait pour nous à nous engager dans l’armée anglaise : nous serions bien traités, logés, nourris, payés, et en plus nous aurions la possibilité d’aller dans le Nouveau Monde ! J’en ai parlé longuement à la maison, et mes parents m’ont encouragé à m’enrôler si j’en avais envie ; c’est mon frère Patrick qui s’occupera de nos parents. En fait, ils vont lui transmettre la terre paternelle. Pat conservera sa terre et à mon retour, dans trois ou quatre ans, je pourrai m’y installer. J’ai donc décidé de m’enrôler.


Angleterre, 1813. Me voici rendu en Angleterre, au sein du Fourth Royal Veteran Battalion. Avec quelques concitoyens, je me suis embarqué sur le bateau au port de Donegal (pas tellement loin de chez moi) ce printemps, et j’ai rejoint mon régiment ici, en Angleterre. Nous suivons présentement un entraînement de fantassins. Et il paraît que nous nous embarquerons pour le Canada dès le printemps prochain. Pour le moment, je trouve ça quand même intéressant, puisque qu’avec l’entraînement que nous recevons, nous apprenons plein de nouvelles choses, sur la guerre, la vie dans le Nouveau-Monde et ainsi de suite. Il est possible que je puisse apprendre un métier; j'aimerais apprendre le métier de forgeron, ou bien celui de tonnelier.


Canada, 1814. Nous venons d’arriver en Canada depuis quelques semaines. La traversée s’est bien passée. Paraîtrait que nous avons été chanceux, et que ce n’est pas toujours le cas. Nous n’avons pas rencontré un seul navire de ces maudits américains (Note du traducteur : " damn americans " dans le texte original). Je me suis fait ami avec un dénommé Hugh Gordon ; il avait sa couchette voisine de la mienne sur le bateau. Hugh est très bon en dessin et il a accepté de me faire un dessin de notre bateau dans mon cahier, pour vous montrer comment c’est à bord d’un bateau. Nous avions nos couchettes à l’étage du milieu, vers l’avant, là où on voit comme des planches sur le dessin. Je ne sais pas si vous allez pouvoir voir, mais juste derrière nos couchettes, ce sont les chevaux, et plus loin la tasserie pour le foin. En dessous complètement, ce sont les vivres et le lest. Nous étions 120 soldats sur le bateau, plus les officiers et le personnel naviguant. Les officiers sont logés dans ce qu'on appelle le "château", c'est à dire le bloc au dessus du pont, vers l'arrière du bateau.

Il y a plusieurs régiments anglais qui sont débarqués en même temps que nous à Montréal ; c’était extraordinaire. Ensuite, on nous a assignés à garnison à une ville nommée Plattsburg. C’est assez loin : on a mis environ deux semaines à s’y rendre avec nos bagages. Ici, ce n’est pas trop difficile. Nous avons eu à livrer quelques batailles à des restants de régiments de sales américains, mais jusqu'à maintenant, le principal de l’action se joue entre les forces navales, sur le lac Champlain. Il paraît que ça joue beaucoup plus dur du côté de Chateauguay, qu’ils appellent la place où l’action se passe.

En ce qui me concerne, tout va très bien pour moi. J’ai même engraissé un peu depuis mon départ de la maison. Avant de quitter l’Angleterre, j’ai dû changer mon uniforme. Mon sergent m’a beaucoup taquiné en m’accusant de préférer la nourriture anglaise à la nourriture irlandaise ! Nous recevons notre part de paye régulièrement, à tous les deux mois. Dans mon cas, j’ai demandé que ma solde soit envoyée à la maison, chez mes parents ; je ne garde que 2 livres par paye pour mes petites dépenses, puisqu’on nous fournit tout, ici. Quand je reviendrai à la maison, j’aurai ainsi un petit magot pour m’installer.


William-Henry, automne 1814 . Les choses se sont précipitées. Notre armée navale a été défaite sur le Lac Champlain et le Général Prévost, craignant que nous ne soyons coupés de Montréal par les troupes ennemies a préféré abandonner Plattsburg complètement. La décision devait être d’autant plus facile à prendre que le colonel de Salaberry venait de battre l’armée du général américain Hampton au sud de Montréal. Nous voici donc revenus à cet endroit que je ne connaissais pas, appelé William-Henry (Note du traducteur : Sorel). On nous a expliqué que nous allions être stationnés ici pour quelque temps en attendant de voir la tournure des événements. On s’attend à ce que la paix soit signée maintenant que Napoléon a été défait en Europe. Et si la paix est signée, nous allons pouvoir retourner à la maison. Je ne serais pas trop désappointé !


William-Henry, février 1815. Ici, la vie est passablement morne. Juste les exercices réguliers, deux fois par semaine. Le reste du temps, à part les corvées, il y a peu à faire. Beaucoup prennent un coup et passent leur temps à flâner ici et là. J’ai écrit à la maison la semaine dernière. Ils nous ont dit que le courrier militaire était très efficace. Si on envoie une lettre de bonne heure au début de l’été, on est à peu près assuré d’avoir une réponse avant l’hiver, à moins que les bateaux ne soient interceptés par les pirates en maraude. Parce que durant l’hiver, les bateaux ne circulent pas du tout, à cause de la glace sur l’immense rivière où nous nous trouvons: ça s'appelle la "St-Lawrence River".

J’ai reçu une lettre de la famille, à l’automne dernier. Mon frère Pat me dit que notre père est décédé, et que notre mère ne va pas bien. Je crois qu’ils ont de la misère à se nourrir comme il faut dans mon vieux pays. De mon côté, je me suis fait une petite amie canadienne, dernièrement. Elle se nomme Marie Gamelin et je la trouve bien à mon goût, même si elle ne parle à peu près pas ma langue. C’est amusant ; moi j’apprends un peu de français et elle apprend un peu d’anglais. Ses parents sont des cultivateurs de St-François-du-Lac, tout près d’ici, et ils vivent assez à l’aise, à comparer avec chez nous en Irlande. Ils ont une grande terre, qui n’est presque pas défrichée, encore. Ils m’ont dit qu’ils ont seulement 60 âcres de faites sur 100.


William-Henry, décembre 1815. Il y a du nouveau, et c’est très sérieux. Marie est enceinte ! Bien oui, et elle croit que ce sera pour le mois d’avril. Je ne sais pas trop quoi faire. Ils nous ont dit que nous allions bientôt pouvoir être rapatriés, et que ceux qui le souhaitaient pourraient rester au Canada ; le gouvernement leur donnerait des terres et les aiderait à s’établir. Des fois je me demande si je ne devrais pas rester ici : j’aime Marie, je l’aime beaucoup. Ma pauvre mère, elle, elle m’attend ; je vais lui briser le cœur, sans doute. Mais j’aurai 40 ans à l’été prochain : faut bien que je pense à mon avenir après tout.

William-Henry, juin 1816. Marie a accouché au mois d’avril dernier ; nous avons eu un beau gros garçon, en pleine santé. Nous sommes très fiers. Mais il y a eu quelques petits problèmes. Marie est catholique, et elle voulait faire baptiser notre garçon. Mais vous comprenez, nous ne sommes pas mariés... Son ministre, un Monsieur Paquin, ne voyait pas ça d’un très bon œil. Il a quand même accepté, et nous avons nommé notre fils Edouard : c’est comme mon nom à moi, mais en français. Marie a insisté pour qu’on lui donne un nom français pour essayer de réconcilier sa famille qui n’est pas bien enchantée qu’elle ait un enfant sans se marier, et qu’en plus le père de l’enfant soit un Anglican ! Nous allons peut-être nous marier, puisque je suis pas mal décidé à rester ici. J’ai su qu’en plus de nous donner une terre, le gouvernement nous donnerait probablement une pension : ça nous aiderait à nous partir parce qu’autour d’ici, il n’y a plus de terres de disponibles. Il va falloir aller dans ce qu’ils appellent les Cantons ; ce sont des nouveaux territoires qui commencent à s’ouvrir à la colonisation. Mais là, les terres n’ont jamais été défrichées. On verra bien.


William-Henry, septembre 1816. Bon, bien nous avons fini par nous décider. Marie et moi nous sommes mariés à l’été. Le prêtre catholique faisait du trouble pour nous marier parce que nous vivions déjà ensemble et que nous avions un enfant. Alors j’ai convaincu Marie de nous marier chez le ministre Anglican, à Christ Church, ici-même à William-Henry. Ca a très bien été, sauf que le père de Marie n’a pas voulu venir au mariage pour servir de témoin à sa fille; en réalité, c'est Mme Gamelin qui voulait pas, parce que M. Gamelin, quant à lui vous savez,... C’est donc le frère de Marie, Joseph, et sa sœur Isabelle qui nous ont servis de témoins. J’ai fait application pour obtenir une terre et une rente de soldat. J’ai écrit à ma mère pour lui apprendre la nouvelle : j’espère que je ne la ferai pas mourir !

St-François-du-Lac, septembre 1817. J’ai bien des choses à raconter. J’ai finalement été licencié le 5 juillet dernier, et on m’a garanti que le gouvernement allait m'accorder une rente. Je ne sais pas encore quel sera le montant de cette rente. Pour le moment, nous habitons chez les beaux-parents Gamelin, et je travaille sur la ferme avec M. Gamelin pour payer notre logement et notre ordinaire. Je devrais avoir des nouvelles de la terre qui nous sera accordée d’ici un an : ils ne sont pas pressés, eux-autres. Marie attend un deuxième enfant  pour le mois de février probablement. Nous sommes bien enthousiasmés de cela. J’ai eu des nouvelles d’Irlande : ma mère va bien, et mon frère Pat me dit qu’elle a beaucoup pleuré en apprenant que j’allais rester au Canada. Peut-être un jour, d’ici quelques années, pourrons-nous aller la voir et lui montrer ses petits-enfants, si elle vit assez longtemps.


St-François-du-Lac, décembre 1817. Je ne vous ai pas beaucoup parlé jusqu’ici de la famille de mon épouse Marie. C’est une grande famille, assez célèbre dans la région. Marie a plusieurs oncles et cousins qui ont été de très riches commerçants de fourrures à Montréal dans les années 1700. Son grand-oncle Ignace, par exemple, a été l’un des bailleurs de fonds du célèbre La Vérendrye, qui se trouvait également l’oncle de sa femme ; et ainsi pendant plusieurs années, l’oncle Ignace a été l’unique fournisseur attitré de toutes les expéditions de La Vérendrye. Il a fait bien de l’argent avec la traite des fourrures, mais il en a perdu beaucoup également, en particulier dans ces expéditions en commandite. Il a investi dans les mines de fer, à Trois-Rivières, dans la construction navale, et quoi encore. Finalement, selon le père de Marie, il est mort en 1768 paralysé, sourd, muet et presqu’aveugle, ne laissant à ses descendants que des dettes.

Un autre cousin de Marie, Pierre-Ambroise, a fait la guerre de 1812, comme moi. Mais comme il était canadien, nous n’étions pas dans les mêmes régiments. Il est présentement notaire à Sainte-Marie-de-Monnoir, dans le coin de Montréal.

Tout ça pour vous dire que la famille de Marie est une famille bien connue à St-François. Par contre, je dois vous dire que la famille immédiate de Marie ne sont pas des gens bien riches.

St-François-du-Lac, été 1818. Marie a accouché de notre deuxième beau garçon à la fin de février dernier ; nous l’avons appelé Edward (N.D.T. : c’est lui qui portera plus tard le nom de ‘Félix’), exactement comme son père, cette fois. Le curé Paquin a accepté de le baptiser sans faire de problème, même si nous sommes mariés à l’église anglicane. Paraît que nous allons bientôt avoir des nouvelles de nos terres qui nous seront octroyées. J’ai l’impression que ce sera dans la région de la rivière St-François, pas tellement loin d’ici, puisque certains soldats d’autres régiments ont déjà reçu des nouvelles. Marie et moi avons bien hâte : non pas que nous ne sommes pas bien chez les beaux-parents, mais la langue, vous comprenez. Et puis la belle-maman fait continuellement des pressions insidieuses pour que je me convertisse. Moi, ça ne me dérangerait pas tellement . C’est juste ma famille : je me demande ce qu’ils diraient de ça... Le beau-père Gamelin, lui, dans ce temps-là, ne dit pas un mot et il fume sa pipe. Je crois qu’il me comprend bien, dans le fond.

A suivre ...